Moscou, mardi 17 avril 2012 en fin de matinée, à Novodievitchi. J'avais dans l'intention de faire le tour extérieur du monastère, pour expérimenter encore l'expression 'longer le mur'.
Elle s'applique difficilement.
D'abord, quand on est face au monastère, à son entrée principale, à part y pénétrer, la seconde destination principale est de descendre vers l'étang, ses canards, les allées qui l'entourent et les autres promeneurs.
On descend donc, on tourne à gauche, parce que le mur tourne à gauche.
L'allée est à distance du mur.
À l'extrémité de ce segment de l'enceinte, à la hauteur de la prochaine tour d'angle, je m'attendais à tourner encore une fois à gauche mais ce n'est pas possible, un autre mur démarre à cet endroit-là, prolonge le premier. Il est plus bas, en briques toujours, au faîte qui part en encorbellement, il doit être épais aussi.
C'est le mur du cimetière de Novodievitchi, accolé au monastère, postérieur à celui-ci. Mais de cela, sur place, on n'en sait rien, on ne le voit pas, seulement un mur, avec son chapeau et un cordon d'entablement au tiers de la hauteur. Au début, jusqu'au mur il y a un talus.
Ensuite il bifurque à gauche. La zone de calme s'arrête ici, à cet angle. Devant, c'est d'abord la rue Khamovnitcheskiy Val, très large. Puis une levée de terre, haute, elle conduit les trains jusqu'au pont au-dessus de la Moscova. Des convois interminables y défilent dans un fracas assourdissant.
Plus d'allée, un trottoir qui se rétrécit et colle au mur, et la séparation de verdure, une mince bande désormais, à changé de côté. "Longer le mur" s'applique bien à ce passage. La circulation et son grondement plaquent contre le mur, secours illusoire contre ce monde hostile.
Vient la troisième bifurcation à gauche, sur le Loujnetskiy Proyesd. De l'autre côté de la voie s'élèvent les immeubles dont celui vu de l'intérieur du monastère.
Et voici l'entrée principale du cimetière, "Novodievitchiy klabichtche". Tout près, une table d'orientation, inclinée, établit la liste des personnalités inhumées et la localisation de leur tombe. Boulgakov est en 21, dans le deuxième grand secteur. Prendre l'allée, tourner à droite, un mur intérieur sépare les secteurs. Épais, plus qu'épais, il accueille des urnes funéraires, des centaines, dans des cavités pratiquées dans le mur, à côté de Boulgakov les emplacements 82 et 83, entre les deux, une colonne avec une inscription, "pédagogue / Anna Tikhonovna Tchyguina / 1913-1949", le portrait de la défunte est dans un macaron oval, et tout ce qui reste de cette personne est contenu dans l'urne blanche au-dessus, le pied ceint d'oeillets.
En ce point précis règne le silence.
On peut marcher à grands pas dans l'allée principale, mais le long du mur columbarium, le déplacement est lent et prudent et curieux aussi.
Ne pas réveiller les morts, c'est déjà bien assez de déchiffrer tous ces noms, toutes ces existences passées, afflux de pensées.
Le temps est très ralenti.
Je reviens sur mes pas, je découvre maintenant ce à quoi je tournais le dos à l'aller, à nouveau un grondement sourd fait trembler la région, un train passe, là-bas, dans la perspective juste à la hauteur du mur extérieur du cimetière, c'est étonnant et effrayant à la fois. Roulement, écrasement, interminable.