Mercredi 14 février 2001.
Vers l'aval et surtout lorsque les couleurs du couchant s'en mêlent, c'est un vrai tableau de maître.
Convier Le Lorrain.
La passerelle des Arts en face n'a ni parapet ni balustrade de pierre — ils sont toujours épais — et cela veut dire qu'il n’est plus de ligne qui fasse le tour entier de la scène, polygone buissonnier.
Il n’y a donc pas ici un avant et un après du pont d’en face.
Le fleuve continue sa trajectoire et la passerelle est posée dessus, surtout légère et fragile, elle est gracieuse, mince, et parfaitement horizontale.
Elle ne segmente pas le fleuve, elle est une allumette transversale.
Dans un V entre les deux rives apparaît encore dans la lumière la colline du Trocadéro.
L'horizon lointain est dominé pour la première fois, et de très haut, par la Tour Eiffel.
Il y a aussi les épis de la gare d'Orsay.
Sur la rive droite, le bâtiment de la Samaritaine, juste devant l’aile droite aval, a fier allure.
Bien sûr, il est très vitré, mais les baies sont supportées et structurées par de grands segments de pierre.
La pierre fournit la charpente, la donne à voir, et démontre que le miroir des vitres correspond à des fenêtres, à des ouvertures de l'intérieur sur l'extérieur (et non pas à une fermeture de l'intérieur sur l'extérieur, captation de l'extérieur sans réciprocité). Les arrondis, de la façade, l'arcade de la couverture, donne de la rondeur à l'ensemble, l'assouplit. Au pied, l'auvent est l'aspirateur de la clientèle.
Jusqu’à la rue de Coligny, les immeubles ne sont pas formatés pour former un ensemble, probablement antérieurs à 1850, en tout cas ne répondant pas strictement au canon haussmannien. Ce n’est pas majestueux, mais c’est ordinaire.
Après cela, la Cour Carrée du Louvre — mais est-ce le bon terme pour désigner cette partie du palais, la cour est une cour, elle est contenue, quelle figure de langage est-ce que de désigner le bâtiment du nom de ce qu'il contient? —
Soit : Sully.
Le mur du quai comporte un escalier.
Et aussi des fenêtres, il y a des services derrière, peut-être du métro ou bien des égouts, qui viendrait s'installer en dessous des trottoirs, tapi sous le cheminement des autres, en catimini.
La voie sur berge sonore surgit du souterrain noir qui crache son venin.
Vivement la crue, qu’elle accomplisse le geste politique de couper la circulation.
Sur la rive gauche, ou plutôt du côté gauche, c’est vraiment un paysage d’eau.
D'abord, l’eau au pied, puis c'est un bateau des Vedettes du Pont-Neuf amarré au ponton, ensuite le square du Vert Galant. Il est lui-même une bande étroite et basse (à Maisons-Alfort, il est une île qui émerge à peine de l'eau et quand la Marne est en crue, elle disparaît quasiment, il n’y a plus que les arbres, un luminaire, des poteaux inévitables, qui rappellent sa présence).
Et derrière, de l’eau, celle du petit bras, qui caresse l’étrave d’une file de navires variés, amarrés à la berge au bas du quai Conti.
Le dôme de l'Institut et le grand bâtiment oblong qui le précède contrastent avec l'atmosphère aquatique, ils assombrissent encore le crépuscule du lieu.
Fixer l'eau, fixer l'eau, fixer l'eau, oublier la ville, seulement l'eau, les troncs nus, les couronnes - éphémères torches, entendez-vous les sons du marais ?
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